(Toute ressemblance avec la réalité est exacte, sauf le prénom de mes clients.)
Paul arrive à l'heure, poli, affable. Le type sûr de lui.
Costume impeccable, poignée de main ferme.
Il s'assoit, prend une respiration, et lâche :
— "Ça fait quinze ans que je suis à la tête de cette boîte… et pourtant, j'attends toujours qu'on me dise que je suis légitime."
J'attends la suite.
— "Je veux dire… Objectivement, je réussis. Mon entreprise tourne bien, on grandit, on recrute… Mais à chaque décision, j'ai cette voix dans ma tête qui me dit que je vais finir par me faire démasquer."
Je lève les yeux vers lui.
— "Démasquer de quoi ?"
— "Que je ne suis pas un vrai dirigeant. Que je ne sais pas ce que je fais."
Paul n'a pas hérité de son entreprise.
Il l'a bâtie à la sueur de son front , en partant de rien.
Il a fait grandir une équipe, porté des projets ambitieux, pris des risques.
Mais chaque victoire, au lieu de renforcer sa confiance, creusait un peu plus son doute.
— "À chaque fois que je signe un gros contrat, au lieu de me réjouir, j'ai peur que l'autre s'aperçoive que je ne suis pas aussi bon qu'il le pense."
— "Et pourtant, les contrats, tu les signes."
Il me botte la tête.
— "Et tes clients restent ?"
— "Oui."
— "Et ton équipe te suit ?"
— "Oui."
Je souris.
— "C'est gênant quand même, tous ces gens qui n'ont pas encore compris que tu es une fraude."
Il me regarde, cligne des yeux… et rit, malgré lui.
— "Donc, si je résume : tu diriges une boîte florissante, mais au fond, tu te dis que tu n'as juste pas encore été 'pris la main dans le sac' ?"
Il secoue la tête, souffle.
— "C'est ridicule, hein ?"
— "Non. C'est classique."
Il a les sourcils froncés.
— "Classique ?"
— "Paul, il y a deux types de dirigeants : ceux qui doutent et ceux qui sont dans le déni. Et devine lesquels finissent par s'effondrer ?"
Il esquisse un sourire.
— "Ceux qui pensent tout savoir ?"
— "Exactement. Le doute, c'est normal. Ce qui ne l'est pas, c'est de le laisser te paralyser."
Je me penche légèrement vers lui.
— "À qui attend-tu qu'on te compare pour que tu te sentes enfin légitime ?"
Il réfléchit, hésite.
— "Je ne sais pas… Peut-être à ces grands patrons qui ont fait des écoles prestigieuses. Ceux qui ont eu une carrière tracée d'avance."
— "Et eux, tu penses qu'ils ne doutent jamais ?"
Silence.
Puis il secoue la tête.
— "Si, sûrement. Mais j'ai l'impression qu'ils savent mieux masquer leur jeu."
— "Ou peut-être qu'ils ont juste une accepté choisi que tu n'as pas encore compris."
Il relève les yeux.
— "Quelle ?"
— "Qu'il n'y a pas de comité secret qui distribue les 'vrais' diplômes de dirigeant."
Nous avons travaillé sur trois axes :
✔ Accepter qu'aucun dirigeant ne sait toujours exactement ce qu'il fait.
✔ Remettre en question cette idée qu'il doit prouver en permanence qu'il mérite sa place.
✔ Comprendre que l'excellence ne vient pas d'une absence de doute… mais de la capacité à avancer avec.
Et puis, juste avant de partir, il s'arrête et me regarde :
— "C'est bizarre, mais je me sens déjà un peu plus légitime."
Je souris.
— "C'est embêtant, du coup… Si on découvre enfin que tu es un imposteur, tu risques de te défendre."
Il éclate de rire.
— "J'y penserai. Mais en attendant… j'ai des décisions à prendre."
Le syndrome de l’imposteur ne disparaît pas avec le succès.
Il s'infiltre dans chaque nouvelle victoire… tant qu'on n'accepte pas d'être à la hauteur.
Personne ne viendra te donner la permission de te sentir légitime.
La seule validation qui compte, c'est celle que tu te donnes.
À suivre…